NASA,

Voyager Golden Record et son couvercle, envoyés dans l’espace en 1977.

Image issue du trailer de l'exposition « Civiliser l'espace »

d'Octave De Gaulle

au Musée des Arts Décoratifs et du Design de Bordeaux (MADD),

décembre 2015.

Octave De Gaulle,

Bouteille de vin pour l'espace (projet Distiller), 2013.

1.

« bottle into the cosmic ocean », discours

de Carl Sagan, président du comité

à l'origine du Voyager Golden Record.

2.

D'après la déclaration du président américain de l'époque J. Carter (« Voyager Spacecraft Statement »),

29 Juillet 1977.

3.

La Nasa a annoncé

le 22 février 2017 l’existence de sept exoplanètes de tailles comparables à la Terre, dont quelques-unes seraient potentiellement habitables ou porteuses

de bio-signatures.

 

L'entreprise SpaceX

du milliardaire Elon Musk prévoit d'envoyer

deux touristes vers la Lune en 2018.

4.

« Octave De Gaulle : Distiller », interview d'Octave de Gaulle par Tony Côme,

20 juillet 2014,

strabic.fr.

5.

Ibid.

6.

« Le design fiction

est l’usage délibéré

de prototypes diégétiques afin de suspendre l’incroyance au changement. »

Citation de Bruce Sterling extraite de l'article « Design Fiction, entre salves disruptives et lueurs d’espoir » de Loup Cellard, 11 avril 2017,

strabic.fr.

7.

Comme l'explique

le designer, ce sont

les soucis d'ergonomie

et la prise en compte

des caractéristiques physiques propres

à l'espace sans pesanteur (notamment « l'effet

de coin ») qui ont guidé le dessin de l'objet et le choix

des matériaux.

D'autre part, cette bouteille à forme torique (en anneau) nous interroge sur la permanence des formes de nos objets. La bouteille de vin est en effet restée sensiblement figée dans la même typologie formelle depuis des siècles. Le projet « Distiller » bouscule ainsi cet archétype, démontrant que les formes des objets ne sont pas immuables, qu'elles peuvent exister autrement.

Le projet Distiller n'est pas une production fictive, mais il se rapproche pourtant de la définition du design fiction donné par Bruce Sterling, en ce sens qu'il « suspend l’incroyance au changement »6.

Même si la bouteille est le résultat d'une démarche avant tout fonctionnaliste7, elle nous ouvre à considérer que d'autres mondes sont possibles. Plus que le témoignage d'un art de vivre traditionnel, c'est avant tout la démonstration qu'il y a mille manières de boire du vin, que les choses ne sont pas figées et qu'il vaut la peine de les remettre en question si on veut continuer à vivre.

Le projet « Distiller » propose de dépasser les seules conditions de la survie (se nourrir, boire, dormir, se vider, effectuer les missions demandées) pour commencer à « civiliser l'espace ». Comme l'affirme Octave De Gaulle,

 

« rien ne permet vraiment de « boire un verre » comme sur Terre. Or, c’est précisément cette expérience éminemment culturelle, centrée autour de la conversation et du partage, qu’il faut emmener là-haut. »5

 

Finalement, plus encore que les enregistrements et les captations de la « vie terrestre » du Golden Record, cette bouteille-ci porte peut-être un meilleur témoignage de l'espèce humaine : savoir dépasser la survie en cultivant des moments anecdotiques et conviviaux, pour véritablement habiter l'espace.

 

 

Montrer que les objets peuvent exister

autrement

Une bouteille dans le cosmos

Les bouteilles navigant dans l'océan spatial ne sont pas légion, et on peut s'intéresser à celle conçue par le designer Octave De Gaulle dans le cadre de son projet de diplôme à l'ENSCI-Les ateliers (école Nationale Supérieure de Création Industrielle). Baptisé « Distiller I : après la survie », son projet a pour objectif « d’imaginer pour l’Espace des environnements moins austères, des formes plus ergonomiques, adaptées au contexte particulier de la vie en apesanteur »4.

Ainsi, en parallèle de sa réflexion sur l'environnement de la station spatiale, Octave De Gaulle propose une bouteille de vin et un « verre » adaptés aux conditions physiques particulières qui sont celles de l'espace. L'enjeu est de repenser la dégustation du vin afin d'emmener ce moment « là-haut », d'apporter de la convivialité dans un espace hostile aux hommes.

 

 Ce projet, qui peut paraître anecdotique et superflu au premier abord (surtout au vu des problèmes qu'on imagine être ceux des astronautes après avoir regardé des films catastrophes comme Gravity d'Alfonso Cuarón), soulève pourtant deux questions importantes :

celle de la vie dans l'espace,

et celle de la contingence des formes, c'est-à-dire la possibilité que les choses puissent exister d'une autre façon.

 

 

Civiliser l'espace

Le Golden Record

En 1977, la NASA (National Aeronautics and Space Administration) lance le programme Voyager et envoie dans l'espace deux sondes spatiales : Voyager 1 et Voyager 2, afin d'étudier plusieurs planètes extérieures à notre système solaire. Est embarquée à bord de ces sondes ce que les astrophysiciens ont appelé une « bouteille interstellaire »1 : le Voyager Golden Record. Il s'agit d'un disque de cuivre gravé contenant 116 photos et illustrations de l'activité humaine sur Terre (notamment différents lieux jugés par les autorités américaines comme symboliques, comme la Grande Muraille de Chine ou le pont du Golden Gate, mais aussi divers croquis de l'anatomie humaine, une photographie d'un artisan thaïlandais au travail ou d'un avion au décollage…). On y trouve également des extraits sonores (plusieurs œuvres musicales et des enregistrements de moments de vie) ainsi que des schémas indiquant la position de la Terre dans le système solaire. Le Voyager Golden Record est accompagné d'une cellule et d'une aiguille, afin de pouvoir potentiellement être lu par une espèce extraterrestre suffisamment développée.

L'ambition de la NASA était de faire du Golden Record l'ambassadeur de l'espèce humaine dans l’espace, un témoin contenant « une marque de nos sons, de notre science, de nos images, de notre musique, de nos pensées et de nos sentiments »2. Cette initiative, qui avait laissé à l'époque de nombreuses personnes sceptiques, prend aujourd'hui une nouvelle dimension avec la récente découverte d'exoplanètes prometteuses et la proche concrétisation du tourisme spatial3.

 

Le Golden Record se veut donc être l'étendard de la vie humaine dans l'espace. Mais cette bouteille cosmique soulève une question épineuse (au delà du problème de communication évident) : comment transcrire l’essence de l'espèce humaine ? On peut se demander si le fameux disque doré de la NASA est bien légitime pour témoigner de ce qu'est l'Homme.

Avons-nous envoyé la bonne bouteille ?

comment les choses pourraient être autrement.

 

spéculer

en dehors Mémoire de fin d'études d'Hugo Poirier, sous la direction de Mathilde Sauzet. ENSCI-Les ateliers 2017 à consulter sur ordinateur & tablette.