Antony Gormley, Touchstone, 1982.

digression

l'âge des pierres

La roche, compagnon de l'homme

Les premiers hommes trouvaient refuge dans des cavernes, pénétrant dans les entrailles de la Terre pour se protéger et assurer leur survie. La roche a constitué leur premier rempart face à l'hostilité du monde.

 

 La pierre et le galet, menus morceaux de roche, ont eux aussi joué un rôle non négligeable dans l’histoire humaine. Si l’on remonte à la genèse de l’humanité, l’apprivoisement du galet, sa transformation et son maniement de plus en plus précis ont marqué la naissance du progrès technique. Facilement manipulables, la pierre et le galet sont en effet classés par certains anthropologues parmi les premiers outils : des « outils naturels », ou « naturefact »1. Ils sont rapidement devenus, au hasard de leurs formes, des extensions des premières mains humaines. La pierre (on parle d’«Age de la pierre taillée») a ainsi été examinée, manipulée, empilée, lancée, taillée, broyée, forée, sculptée, adorée, exposée, transformée... Elle est le plus ancien et le plus fidèle compagnon de l’homme sur la route de l’évolution.

 

 Le caillou se distingue de ses deux cousins minéralogiques par sa petite taille. Il incarne une unité finie avec laquelle l’homme peut composer. En tant que corps d’apparence indivisible, on peut imaginer qu’il a servi à l’élaboration des premiers systèmes arithmétiques.

 

 

Le sens de la roche

Loin des seules fonctions utilitaires, ces morceaux de roche revêtent une importance particulière pour l’homme, qui leur a attribué des sens et des significations différents selon les cultures :

les cailloux du Petit Poucet sont un fil d’Ariane, ils dessinent la trace discrète qui lui permet de retrouver son chemin ; dans le Japon traditionnel, une pierre posée sur un chemin pavé signifie que la voie est bloquée ; les pierres du jeu de go, disposées sur la surface du plateau, composent des espaces, simulent des frontières, distribuent des territoires…

Jeu de go.

Chemin barré, temple, Tokyo.

L'homme confère aux pierres des attributs, des sens, des pouvoirs. Il les lit, y déchiffrant des scènes, des paysages, des mondes.

Roger Caillois,

La lecture des pierres,

2014.

« L’homme a besoin de lire quelque chose dans ce qui est illisible, et de trouver quelque chose de compréhensible dans ce qui se présente comme inintelligible. […]

Je parlerai alors de la permanence des pierres, cette espèce de sérénité que nous y apercevons. La pureté que leur transparence nous donne. Cette espèce également de perfection qui vient non seulement de leur limpidité mais aussi de leur géométrie. Je crois que tout cela donne à l’homme un élément extrêmement puissant qui le réconforte et qui l’aide à sortir du quotidien et du va-et-vient de la vie. »2

Bruno Munari,

De loin on dirait une île,

2002, p. 58.

à l'image de l'homme

à la fois unique (chaque morceau de roche est différent) et universel (tous sont structurés, physiquement, selon la même logique intrinsèque, malgré des compositions chimiques qui peuvent varier), on peut reconnaître dans la roche un côté profondément anthropomorphique.

 

«  Si maintenant je veux avec plus d’attention examiner l’un des types particuliers de la pierre, la perfection de sa forme, le fait que je peux le saisir et le retourner dans ma main, me font choisir le galet.

Aussi bien, le galet est-il exactement la pierre à l’époque où commence pour elle l’âge de la personne, de l’individu, c’est-à-dire de la parole.

Comparé au banc rocheux d’où il dérive directement, il est la pierre déjà fragmentée et polie en un très grand nombre d’individus presque semblables. Comparé au plus petit gravier, l’on peut dire que par l’endroit où on le trouve, parce que l’homme aussi n’a pas coutume d’en faire un usage pratique, il est la pierre encore sauvage, ou du moins pas domestique. Encore quelques jours sans signification dans aucun ordre pratique du monde, profitons de ses vertus. »3

 

 Des grottes troglodytes jusqu'aux immeubles de béton qui dominent nos paysages urbains, la roche est un des matériaux de prédilection des sédentaires. Les hommes s'entourent de roche.

C'est pourquoi on peut s'hasarder à lire dans certaines constructions, en s'attachant à la manière dont la roche est travaillée, des reflets de la conception du monde des hommes qui y vivent.

Werner Blaser,

La roche est ma demeure,

1976.

Nuri Bilge Ceylan,

Winter Sleep,

2014.

Habitat troglodyte, Anatolie centrale, Turquie.

Le Corbusier,

Cité Radieuse,

édifiée entre 1947 et 1952.

3.

Francis Ponge,

Le parti pris des choses ; précédé de Douze petits écrits ; et suivi de Proêmes, éd. Gallimard, Paris, 2007 (1967), p.98.

2.

« La passion des pierres », interview

de Roger Caillois réalisée par Daniel Lander, Archive INA,

janvier 1974.

1.

« Terme forgé

par l’anthropologue

W. Oswalt (1976)

et qui désigne

des objets naturels

non transformés

mais utilisés,

par opposition

aux artefacts ».

Frédéric Joulian, article « Techniques du corps et traditions chimpanzières », revue Terrain n°34, 2000, p.37-54.

en dehors Mémoire de fin d'études d'Hugo Poirier, sous la direction de Mathilde Sauzet. ENSCI-Les ateliers 2017 à consulter sur ordinateur & tablette.